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fallait apprendre. Dans leurs développements nécessairement parallèles, les mœurs et la langue furent pareillement assujetties aux conventions, dont les lois n’étaient plus intelligibles au sentiment naturel, et ne pouvaient plus être comprises que de la réflexion qui les recevait sous forme de maximes enseignées. Depuis que les langues modernes de l’Europe, séparées de plus en des branches différentes , ont suivi avec une tendance de plus en plus décidée leur perfectionnement purement conventionnel, la musique s’est développée de son côté et est parvenue à une puissance d’expression dont il n’existait encore aucune idée. On dirait que sous la pression des conventions civilisées le sentiment humain s’est exalté, et a cherché une issue qui lui permît de suivre les lois de la langue qui lui est propre, et de s’exprimer d’une manière qui lui fût intelligible, avec une entière liberté et une pleine indépendance des lois logiques de la pensée. La prodigieuse popularité de la musique à notre époque, l’intérêt toujours croissant que toutes les classes de la société prennent aux genres de musique les plus profonds, l’empressement chaque jour plus vif à faire de la culture musicale une partie essentielle de l’éducation, tous ces faits, clairs, évidents, incontestables, témoignent à la fois de deux choses : l’une, que le développement moderne de la musique a répondu à un besoin profondément senti de l’humanité, l’autre que la musique, malgré l’obscurité de sa langue selon les lois de la logique, se fait nécessairement comprendre de l’homme avec une puissance victorieuse que ces mêmes lois ne possèdent pas.