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— XIV —

voulais écrire pour cette tragédie un accompagnement musical. On dit que Rossini demanda un jour à son professeur si, pour composer des opéras, il lui était nécessaire d’apprendre le contrepoint, et le professeur qui ne songeait qu’à l’opéra italien moderne ayant répondu que non, l’écolier s’abstint : il ne demandait pas mieux. Eh bien, mon professeur, après m’avoir enseigné les procédés les plus difficiles du contre-point, me dit: « Il est probable que vous n’aurez jamais à écrire une fugue ; mais sachez l’écrire, et vous serez indépendant dans votre art, et tout le reste vous sera facile. » C’est ainsi exercé que j’entrai dans la carrière de directeur de musique au théâtre, et que je commençai à faire des opéras sur des poèmes dont j’étais l’auteur.

Que cette courte notice biographique vous suffise. Après ce que je vous ai dit de l’opéra en Allemagne, vous pouvez prévoir aisément la marche ultérieure de mon esprit. La direction de nos opéras ordinaires me causait un sentiment particulier de malaise, une sorte d’ennui poignant, mais souvent encore ce sentiment était interrompu par un bonheur et un enthousiasme que je ne puis dire, lorsque, par intervalles, on exécutait des œuvres plus nobles, et que l’incomparable effet des combinaisons musicales réunies au drame se faisait au moment même de la représentation sentir à mon âme, avec une profondeur, une énergie, une vivacité dont nul autre art ne peut approcher. L’espoir de rencontrer sans cesse de nouvelles impressions du même genre, qui m’entr’ouvraient, comme les rapides lueurs de l’éclair, un monde de possibilités inconnues, voilà ce qui continuait à me