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et qu’il acceptait sans résistance comme immuables, se sentait astreint à une perpétuelle reproduction de cette forme, et par suite condamné à une sorte de stagnation (ce mot pris dans un sens supérieur) ; l’Allemand, sans nier les avantages d’une telle situation, n’en reconnaissait pas moins ses inconvénients et ses périls ; les lourdes entraves qu’elle créait ne lui échappaient pas, et il voyait en perspective une forme idéale, qui lui offrait ce que toute forme avait d’impérissable, mais débarrassée des chaînes du hasard et du faux. La valeur immense de cette forme consistait en ce que, dégagée du caractère étroit d’une nationalité particulière, elle doit être accessible à toute intelligence. Si, quant à la littérature, la diversité des langues européennes fait obstacle à cette universalité, la musique est une langue également intelligible à tous les hommes, et elle devait être la puissance conciliatrice, la langue souveraine, qui, résolvant les idées en sentiments, offrait un organe universel de ce que l’intuition de l’artiste a de plus intime ; organe d’une portée sans limites, surtout si l’expression plastique de la représentation théâtrale lui donnait cette clarté que la peinture a pu seule jusqu’ici réclamer comme son privilège exclusif.

Vous voyez d’ici à vol d’oiseau le plan, le dessin de l’œuvre, dont l’idéal s’offrait de plus en plus clair à ma pensée. Ce plan, je n’ai pu m’empêcher autrefois de l’esquisser théoriquement ; c’était à une époque où j’éprouvais une aversion sans cesse grandissante pour le genre qui avait avec l’idéal dont j’étais occupé la ressemblance repoussante du singe avec l’homme ; c’était