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À STRASBOURG. — JOACHIM

volontiers en public (chose qui, soit dit en passant, agaçait Herwegh) ; mais le moment de la séparation approchant, je ne choisis que Siegfried. Liszt allant voir ses enfants à Paris, nous l’accompagnâmes tous jusqu’à Strasbourg. Moi, je m’étais décidé à le suivre à Paris, tandis que la princesse se croyait obligée de retourner à Weimar avec sa fille. Pendant les quelques heures de ce court arrêt en Alsace, ces dames me prièrent de continuer la lecture de mes œuvres, mais nous n’en trouvâmes pas le loisir.

Le matin du départ, Liszt vint m’éveiller en m’annonçant que la princesse et sa fille nous accompagnaient à Paris. Il ajouta en riant que Marie avait décidé sa mère parce qu’elle voulait connaître encore les autres parties des Niebelungen. Je fus enchanté du tour aventureux que prenaient nos plans de voyage ; malheureusement, le moment était venu aussi de nous séparer de nos jeunes compagnons.

À propos de Joachim, qui s’était toujours tenu modestement, presque craintivement à l’écart, Bülow m’expliqua qu’une sorte de timidité mélancolique s’emparait du jeune artiste quand il était devant moi, et cela à cause des opinions que j’avais exprimées dans mon fameux article sur le « Judaïsme ». Montrant une de ses compositions à Bülow, il lui avait demandé s’il trouvait vraiment quelque chose de « juif » dans ce travail. Ce trait touchant, je dirai presque émouvant, me poussa à dire un adieu particulièrement affectueux à Joachim et je l’embrassai cordialement. Je ne l’ai plus revu depuis[1].

  1. Ceci a été écrit en 1869.