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JE QUITTE L’ITALIE

ravissaient : le rouge des montagnes rocailleuses, le bleu du ciel et de la mer, le vert transparent des pins et même le blanc éclatant d’un troupeau de bœufs agirent si fortement sur moi que je regrettai en soupirant que la jouissance de tout cela ne pût servir à l’ennoblissement de mes sens.

À Gênes, je me retrouvai agréablement ranimé et, croyant avoir cédé à une sotte faiblesse, je me ravisai et repris mon projet primitif. Je m’occupais déjà des moyens de gagner Nice par la « Riviera di Ponente » qu’on m’avait tant vantée. Mais je m’étais à peine décidé que je m’apercevais que ma gaieté ne provenait pas du pays où j’étais, mais bien de ma résolution de me remettre au travail. Il me suffisait de renoncer à cette idée pour retomber dans mon ancienne humeur et ressentir même des symptômes de dysenterie. Je compris enfin : j’abandonnai le projet de Nice et, prenant le chemin le plus rapide par Alexandrie et Novare, sans me soucier des îles Borromées près desquelles je passai, je rentrai par le Gothard à Zurich.

Une seule chose eût été capable de me rendre mon contentement intime : pouvoir entreprendre tout de suite mon grand travail. Or, j’en prévoyais une interruption prochaine et prolongée par le rendez-vous que Liszt m’avait donné à Bâle pour le mois d’octobre. Agité et mal disposé, j’essayai de tuer le temps en allant voir ma femme à Baden-am-Stein où, croyant à une longue absence de ma part, elle s’était rendue pour une cure. Suivant l’habitude que j’ai d’accepter les conseils qui me sont donnés avec conviction sur ma santé, je me laissai persuader de’prendre aussi quelques-uns de ces bains