Page:Wagner - Ma vie, vol. 3, 1850-1864.pdf/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

438
ON ME TRAITE À LA HONGROISE

passer sur un de ces radeaux. Contre la volonté de nos navigateurs, je voulus y parvenir et m’accrochant en passant à la poutre qui faisait saillie sur un des radeaux j’arrêtai notre barque. Les deux rameurs crièrent alors que l’Ellida était perdue, mais moi, soulevant rapidement la comtesse sur le radeau où j’étais monté, je laissai mes amis sauver leur Ellida et traversai les radeaux pour atteindre la rive. La pluie et le vent faisaient rage, mais nous étions saufs, et de pied ferme nous mar châmes vers la ville.

Ma conduite dans ce danger ne manqua pas son effet et augmenta encore la considération dont je jouissais auprès de mes amis. Ils m’offrirent, dans un jardin public, un banquet solennel auquel prirent part de nombreux convives. Je fus absolument traité à la hongroise. Un énorme orchestre de tziganes m’accueillit par la marche de Rakoczy, que la société accompagnait de ses « eljens » impétueux. Ici encore on parla chaleureusement et en connaissance de cause de mes œuvres et de mon activité ; l’influence, affirma-t-on, s’en faisait sentir bien au delà des frontières de l’Allemagne. L’introduction des discours se faisait toujours en hongrois et avait pour but de s’excuser de ce que, par égard pour moi, on fît usage de la langue allemande. On ne me nommait pas Richard Wagner ; j’étais « Wagner Richard ».

Même les plus hautes autorités militaires, en la personne du feld-maréchal Coronini, tinrent à me rendre hommage. Cet officier m’invita à une audition de toutes les musiques militaires au château de Bude, où lui et sa famille m’accueillirent avec beaucoup de déférence. On