Page:Wagner - Ma vie, vol. 3, 1850-1864.pdf/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

418
VOYAGE À SAINT-PÉTERSBOURG

destinée. Je les quittai et poursuivis mon voyage dans la nuit.

À Königsberg, il y eut un arrêt dune demi-journée et une nuit, mais peu désireux de revoir ces lieux si néfastes dans ma vie, je ne quittai pas ma chambre d’hôtel et ne me souciai même pas de savoir la rue où je logeais. Le lendemain de bonne heure, je me remis en route vers la frontière russe.

Quelque peu troublé par le souvenir de la façon illégale dont je l’avais passée autrefois, j’examinai le visage de mes compagnons pendant ce long trajet. L’un d’eux, un seigneur livonien, me frappa surtout par le ton dur et cassant avec lequel, en langue allemande, il exprimait son mécontentement de l’émancipation accordée par le tsar aux paysans russes. Je compris alors clairement que la noblesse allemande fixée dans les provinces baltiques ne serait pas d’un grand secours aux Russes qui voudraient secouer le joug de l’aristocratie. Près de Saint-Pétersbourg, je fus très effrayé de voir le train s’arrêter et des gendarmes y monter faire une perquisition. Ils recherchaient, paraît-il, les participants aux dernières émeutes de Pologne. À l’une des dernières stations avant la capitale, les places libres de mon compartiment furent envahies par des hommes dont les hautes casquettes russes de fourrure m’inspirèrent d’autant plus d’inquiétude que ces gens ne me quittaient pas des yeux. Soudain, la figure de l’un d’eux s’éclaira et il me salua d’un air enchanté en m’annonçant que lui et ses compagnons étaient des membres de l’orchestre impérial envoyés à ma rencontre. Ils étaient tous Allemands.