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CRISE NERVEUSE DE MA DOMESTIQUE

son parti de la situation. Pusinelli lui ayant conseillé une cure à Reichenhall, je lui envoyai l’argent dont elle avait besoin et elle passa un été supportable au lieu même où, l’année précédente, j’avais rencontré Cosima.

Je pus donc me mettre de plus belle au travail : après chaque interruption, j’y retournais pour me rasséréner. Une nuit, je fus inquiété par un singulier incident. Par une belle soirée, j’avais composé le thème riant de Pogner chantant « la belle fête de la Saint-Jean » et je me le répétais à moi-même en m’assoupissant dans mon lit, quand soudain je fus réveillé par un rire bruyant qui se faisait entendre à l’étage supérieur. Ce rire de femme devint de plus en plus fou et se changea peu à peu en affreux gémissements qui furent suivis d’horribles hurlements. Épouvanté, je me levai et constatai que ce bruit était produit par ma domestique Lieschen, qui couchait dans la chambre au-dessus de la mienne. Lieschen avait une crise de crampes hystériques. Le servante de l’hôtel se tenait auprès d’elle ; on avait été chercher le médecin. Très effrayé, je tenais pour certain que cette fille allait rendre l’âme et je m’étonnai du calme que gardaient les autres assistants. J’appris alors que de telles crises sont fréquentes chez les jeunes filles, surtout quand elles ont beaucoup dansé. Je pus observer encore longtemps le développement de ce phénomène, car je le vis se renouveler à plusieurs reprises. Ainsi qu’une marée montante et descendante, il passait petit à petit d’une gaieté enfantine à un rire insolent et à des cris de damné. Lorsque le mal parut s’apaiser, je rentrai dans mon lit et « la fête de la Saint-Jean » chassa toutes les impressions pénibles que je venais d’éprouver.