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L’OUVERTURE DES « MAÎTRES CHANTEURS » (1862)

bonnes impressions auxquelles contribuaient les prome nades que je faisais dans le beau parc du château de Biberich, je sentis enfin renaître en moi le désir de travailler. Par un beau coucher de soleil que j’admirais de mon balcon et qui lançait ses rayons d’or sur Mayence et sur le Rhin majestueux, l’ouverture de mes Maîtres Chanteurs se dessina soudain dans mon esprit, non pas comme autrefois ainsi qu’en un mirage éloigné, mais parfaitement claire et distincte. Je la notai sur-le-champ telle quelle existe aujourd’hui dans la partition, avec les motifs principaux de tout l’opéra marqués de façon très précise. Puis, je continuai la composition en suivant le texte, scène par scène.

La bonne humeur où je me voyais m’engagea à aller faire une visite au duc de Nassau, mon voisin. L’ayant rencontré maintes fois quand je me promenais dans son parc, je jugeai convenable de me présenter à lui. Notre entretien n’eut malheureusement pas grand résultat ; je me vis en présence d’un homme très bon mais fort borné, qui s’excusa de fumer devant moi. « Car, disait-il, je ne peux vivre sans mon cigare ». Puis, il me confia sa prédilection pour la musique italienne : je le quittai alors, le laissant de grand cœur à ses goûts préférés.

En essayant de gagner la faveur du duc, j’avais une arrière-pensée. Sur les bords d’un étang, au fond de son parc, s’élevait une espèce de petit château si vieux qu’il était devenu une ruine pittoresque. Il servait d’atelier a un sculpteur. Or, j’avais éprouvé le vif désir d’obtenir la permission de me loger, ma vie durant, dans cette construction délabrée, car, déjà, j’étais de nouveau tour-