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MATINÉE CHARMANTE

gnée ; en examinant les aîtres, je supputais dans quelle partie de ce vaste château il me serait peut-être donné de faire un assez long séjour. Mais, lorsque à déjeuner j’exprimai mon admiration sur les vastes proportions de la maison, on me repartit qu’elle suffisait à peine aux besoins de la famille, car la jeune « comtesse » menait grand train, et ses nombreux domestiques prenaient beaucoup de place.

Nous passâmes la matinée en plein air ; c’était un jour froid de septembre. Mon ami Rudi paraissait contrarié ; moi, je gelais. Je ne tardai donc pas à prendre congé de ces magnats en me disant que je m’étais rarement trouvé avec des gens plus aimables, mais avec lesquels j’avais moins d’intérêts communs. Ce sentiment tourna presque au dégoût pendant la dernière heure ; quelques-uns de ces « cavaliers » m’ayant accompagné jusqu’à la station de chemin de fer de Mödling, je dus rester silencieux tout le temps du trajet, car ils ne parlèrent absolument que chevaux et haras.

À Mödling, j’allai voir le ténor Ander pour examiner avec lui le rôle de Tristan. Comme il était encore très tôt et que la matinée était claire et belle, je me promenai dans la charmante Brühl, attendant le moment de me rendre chez Ander. Dans l’auberge qu’on y voit, si bien située, je me fis servir un second déjeuner. Je passai là, dans une solitude complète, une heure délicieusement réconfortante. Les oiseaux des bois commençaient à se taire sous l’influence du soleil ; en revanche, une bande de moineaux piaillants envahit ma place ; je leur jetai des miettes ; ils devinrent insolents et s’abat-