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OVATIONS DE WEIMAR

tant pas en jeu ici : il voulait comme se venger de ce que, quelque temps auparavant, on avait sifflé le Barbier de Bagdad de Cornélius, que Liszt avait dirigé lui-même. Mais je m’aperçus aussi que, dans ces derniers jours, il devait avoir subi d’autres graves contrariétés.

Il m’assura qu’il avait essayé de convaincre le grand-duc de m’honorer d’une distinction quelconque, par exemple en m’invitant au dmer de la cour. Mais le souverain avait eu des scrupules de recevoir à sa table un exilé politique auquel le royaume de Saxe était encore fermé. Alors Liszt tenta de me faire au moins décorer de l’ordre du « Faucon blanc ». Ceci encore lui avait été refusé. Les démarches qu’il avait faites pour moi ayant eu si peu de résultat en haut lieu, on songea à me dédommager par un grand cortège aux flambeaux, qu’organiserait en mon honneur la bourgeoisie de la ville. Dès que j’entendis parler de ce projet, je m’efforçai de le déjouer et j’y réussis.

Je ne devais cependant pas m’en tirer sans ovation. Un matin, le conseiller de justice Gille d’Iéna vint, accompagné de six étudiants, se placer sous mes fenêtres et ils me donnèrent une aubade en chantant quelques airs faciles. Je leur fus cordialement reconnaissant de cette attention. Lors d’un grand banquet qui réunit tous les musiciens et auquel j’assistai également, assis entre Blandine et Ollivier, on fit aussi de très amicales ovations au compositeur de Tannhäuser et de Lohengrin : on avait appris à l’aimer et à l’estimer durant son exil et l’on saluait avec joie son retour en Allemagne. Liszt prononça quelques paroles brèves et énergiques ; moi, je me fis entendre à mon tour plus longuement pour répondre à