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ARRIVÉE DE MES AMIS

colie, à laquelle, devant moi, il essayait de donner un caractère « diabolique ». Il prétendait ne pouvoir considérer les choses qu’en pessimiste, et, à ce propos, me fit une critique fort raisonnable du Grand Opéra, de son public et de son personnel de chant. « Il est certain, termina-t-il, que parmi les artistes aucun n’est capable de remplir son rôle à votre idée. Puis il y a ce je ne sais quoi que vous ne pouvez vous dissimuler vous-même dès que vous entrez en rapports avec le chef de chant, le régisseur, le maître de ballet, le directeur des chœurs et spécialement avec le chef d’orchestre. » Et Niemann, qui s’était fait une loi de n’accepter aucune coupure dans son rôle, m’en demandait tant et plus maintenant. Comme je m’étonnais, il me répondit que tel passage importait peu puisque nous nous trouvions en face d’une entreprise qu’il fallait exécuter le plus sommairement possible.

L’étude de Tannhäuser se traîna donc dans ces conditions si peu favorables jusqu’à la répétition générale. Mes anciens amis, les compagnons de mes années passées, arrivaient en foule à Paris pour assister à la « gloire » de ma première. Il y avait Otto Wesendonck, Ferdinand Praeger, le pauvre Kietz auquel, par-dessus le marché, je dus payer le voyage et l’hôtel. Heureusement il y avait encore M. Chandon, d’Épernay, qui apportait une corbeille de « fleur du jardin », sa plus fine sorte de champagne : on devait la boire au succès de Tannhäuser. Bülow vint aussi, triste et accablé par ses propres soucis et espérant que le bon résultat de mon entreprise réussirait à le rasséréner et à lui redonner du courage.

Je n’eus pas le cœur de lui confier la mauvaise situa-