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DÉCADENCE DU GOÛT EN ITALIE

considéré les copies suspendues à côté de l’original détérioré et après les avoir comparées à celui-ci qu’on se rend soudain compte de la grandeur de l’œuvre de Vinci et de l’impossibilité de l’imiter.

Le soir, je ne manquai pas de me rendre à la comédie, que j’aimais tant. À Milan, on la donnait dans le minuscule « Teatro Re » et devant un maigre public : les Italiens d’aujourd’hui méprisent malheureusement ce genre. On y joua une pièce de Goldoni avec une grande et naïve virtuosité, à ce qu’il me sembla. À la Scala, il me fallut assister une fois de plus, et malgré la splendeur extérieure de la représentation, à une démonstration de la décadence du goût artistique italien. Devant le public le plus brillant et le plus animé qu’on pût rêver et dans cette salle immense, on donnait le misérable opéra d’un nouveau compositeur dont j’ai oublié le nom. Ce même soir, j’appris que pour ces spectateurs italiens soi-disant passionnés de musique, le ballet seul avait de l’intérêt : il apparaissait clairement que cet opéra ennuyeux ne servait que d’introduction à une grande manifestation chorégraphique ayant pour sujet « les amours d’Antoine et de Cléopâtre ». Je vis là le froid politicien Octave, qui certainement ne s’était encore égaré dans aucun opéra italien, se livrer lui-même à une grave pantomime dans laquelle il conserva d’ailleurs assez bien sa dignité diplomatique. Le clou demeura cependant le cortège funèbre de Cléopâtre où l’innombrable personnel du ballet trouvait l’occasion de se produire dans des costumes fort caractéristiques.

Avec ces impressions, dont j’avais joui sans aucune