Page:Wagner - Ma vie, vol. 3, 1850-1864.pdf/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

212
LECTURE DE L’« HISTOIRE DE VENISE »

Dresde et de Berlin. Je restai donc tout seul durant cette longue période de maladie, livré aux soins du personnel inculte de mon hôtel garni.

Incapable de travailler, je trouvai une distraction dans la lecture de l’Histoire de Venise du comte Daru. Ici, sur les lieux mêmes, elle m’intéressa vivement. Je perdis à son étude quelques-uns de mes préjugés populaires contre le gouvernement tyrannique de l’ancienne Venise. L’activité du Conseil des Dix, si décrié, et celle de l’inquisition d’État m’apparurent sous le jour d’une naïveté cruelle sans doute, mais caractéristique. La proclamation officielle disant que la force du gouvernement résidait dans le mystère de ses actes me parut imposer à chaque membre de cette singulière république un intérêt particulier à la conservation du secret d’État : éliminer toute possibilité d’ébruiter une affaire officielle devenait ainsi un devoir républicain. L’hypocrisie proprement dite n’existait donc pas dans ce gouvernement et le clergé, tout en demeurant en relations respectueuses avec l’État, n’exerça pas sur les citoyens d’influence avilissante comme dans d’autres parties de l’Italie. Les combinaisons terribles et impitoyables de la raison d’État devinrent des maximes au caractère antique et païen, sans teinte véritablement sombre ; elles rappelaient les maximes des Athéniens telles que les décrit Thucydide quand il les déclare crûment de mâles principes de moralité.

Pour me donner du courage, j’eus cette fois aussi recours à mon remède ordinaire : un volume de Schopenhauer ; je me liai plus intimement encore avec le grand philosophe, quoique je me rendisse compte que