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PARESSE DE RITTER À VENISE

Un professeur italien de piano, nommé Tessarin, réussit mieux à gagner mes bonnes grâces. Il avait la belle et typique tête vénitienne et un singulier bégayement dans son parler ; au reste, passionné de musique allemande et connaissant fort bien les nouvelles compositions de Liszt et les miennes. « Pour la musique, prétendait-il, je suis un merle blanc dans mon entourage italien. » C’est encore par l’intermédiaire de Ritter qu’il avait pu s’approcher de moi. À Venise, Carl semblait s’occuper plus de l’étude de la population que de son travail. Il avait loué sur la « Riva dei Schiavoni » une petite chambre très modeste, bien exposée au soleil, de sorte qu’il n’avait jamais besoin de la chauffer. Elle servait d’ailleurs plus à son mince bagage qu’à lui-même, car on ne l’y rencontrait presque jamais : le jour, il courait les musées et les galeries ; le soir, les cafés de la place Saint-Marc. Je ne voyais régulièrement que lui, car j’étais resté ferme dans ma résolution de ne fréquenter personne et même de ne faire aucune connaissance. Le médecin ordinaire de la princesse Galitzine (qui s’était vraiment installée à Venise et y menait grand train, disait-on) m’avait laissé entendre à différentes reprises que ma visite serait bien venue de cette dame, mais je n’allai jamais la voir, pas même lorsque ayant eu besoin des arrangements pour piano de Tannhäuser et de Lohengrin et sachant que la princesse seule les possédait à Venise, je fus assez sans gêne pour les lui faire demander.

Une seule et unique fois, je laissai pénétrer un étranger dans mon logis : sa physionomie m’avait plu quand je l’avais rencontré à l’« Albergo San Marco » : c’était le