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HANS DE BÜLOW

imprévue du talent du jeune homme, je laissai arriver la première répétition avec orchestre. Avant tout, j’avais muni Carl d’une paire de fortes lunettes, car j’avais remarqué chez lui une myopie prononcée, dont je ne m’étais pas encore aperçu ; elle forçait mon directeur en herbe à pencher si fortement le nez sur son cahier qu’il lui était impossible de garder orchestre et chanteurs en même temps sous les yeux. Mais quand je le vis plein de confiance à son pupitre, et, malgré ses lunettes, ne regardant que sa partition ; quand, de son bâton, je le vis dessiner dans le vide une vague mesure qu’il se récitait à lui-même comme en un rêve, je me rendis compte que je me trouvais dans la nécessité de tenir ma promesse de garantie. Il me fut difficile et pénible de faire comprendre à Carl les raisons qui m’obligeaient à le remplacer. Bon gré mal gré, il me fallut cependant inaugurer la saison théâtrale de l’entreprise Kramer et le succès que me valut cette direction du Freischutz me mit dans une situation étrange vis-à-vis du théâtre aussi bien que du public. Je ne devais pas m’en dégager avec facilité.

Il n’était plus question de songer à Ritter pour la place de chef d’orchestre. Mais cette malencontreuse expérience coïncida de façon bizarre avec le changement qui se fit dans la carrière d’un autre de mes jeunes amis, de Hans de Bülow, que j’avais également connu à Dresde. L’année précédente, à Zurich, j’avais rencontré son père, Édouard de Bülow : il venait de se remarier et avait fixé sa demeure sur les bords du lac de Constance. Hans de Bülow, qui s’y trouvait alors en séjour, m’écrivit qu’il lui était impossible de réaliser son ardent désir de venir