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LE DEUXIÈME ACTE DE « TRISTAN » (MAI 1858)

pour un voyage d’agrément dans le nord de l’Italie.

Sur ces entrefaites, l’arrivée du piano promis par les Érard me rendit presque mélancolique, car je constatai soudain quel instrument aphone était le Breitkopf et Haertel dont je m’étais servi jusqu’alors. Tout de suite, je reléguai celui-ci au sous-sol de la maison, ma femme me l’ayant réclamé par esprit de conservation : plus tard, elle l’emporta en Saxe et le vendit, je crois, cent thalers. Le nouveau piano caressait délicieusement mon sens musical et je trouvai tout naturellement, en l’inaugurant par une improvisation, les tendres accords de la scène nocturne du deuxième acte de Tristan. J’en esquissais la composition dès le commencement de mai.

Mais une interruption inattendue vint alors me surprendre. Le grand-duc de Weimar, rentrant d’un voyage en Italie, m’invita à aller le voir à Lucerne. J’eus ainsi avec mon apparent protecteur d’autrefois un assez long entretien dans la chambre d’hôtel du chambellan de Beaulieu. Je connaissais ce dernier depuis ma fuite de Dresde. De cette entrevue, il ressortit que mon entente avec le grand-duc de Bade à propos de Tristan avait produit quelque impression à la cour de Weimar. Charles-Alexandre y fit directement allusion, ajoutant qu’en échange de l’intérêt qu’il portait encore toujours à mes Niebelungen, il désirait recevoir de moi la promesse que la représentation de cette œuvre serait réservée à Weimar. J’y accédai sans aucune difficulté.

D’une façon générale, la personnalité du prince me surprit agréablement. Assis avec moi sur un étroit canapé, il causa familièrement, tout en se servant d’un langage