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LES « TROYENS » DE BERLIOZ

Londres. Je le trouvai bien disposé envers moi, car je lui avais annoncé que je n’étais à Paris que pour ma dis traction. Dans ce temps-là, il était absorbé par la composition d’un grand opéra, les Troyens. Afin de me rendre compte de l’œuvre, je souhaitai avant tout d’en connaître le livret, qu’il avait écrit lui-même. Berlioz consacra une soirée à me le lire à moi seul et mon malaise fut grand : le poème en soi et la diction tout à la fois sèche et théâtralement affectée de l’auteur me firent prévoir que le caractère de sa musique serait du même acabit.

J’en fus absolument désolé, d’autant plus que je voyais Berlioz considérer cet opéra comme un chef-d’œuvre dont la représentation deviendrait le but de sa vie.

Avec les Ollivier, on m’invita aussi dans la famille Érard où je rencontrai ma vieille amie, la veuve de Spontini. Le repas fut assez opulent, et, chose curieuse, c’est moi qu’on pria de me mettre au piano pour distraire la société. Les auditeurs prétendirent avoir bien compris et fort apprécié les fragments de mes opéras que je leur jouai tant bien que mal. De plus, grâce à la prévoyance de Mme Érard et de son beau-frère M. Schaeffer, chef de la maison depuis la mort d’Érard, j’eus la chance inappréciable de m’assurer la possession d’un des célèbres pianos à queue de leur fabrique. Il me sembla qu’ainsi le but obscur de mon voyage à Paris s’était subitement éclairci. J’étais si enchanté que tout autre résultat me parut chimérique et que je considérai l’acquisition de cet instrument comme le vrai succès de mon séjour dans la grande cité.

Je la quittai donc d’humeur très joyeuse, le 2 février,