Page:Wagner - Ma vie, vol. 3, 1850-1864.pdf/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

174
KELLER ET SEMPER JUGENT « TRISTAN »

de Calderon, chez moi, où toute la matinée j’avais travaillé à Tristan. L’auteur espagnol, auquel m’avait préparé l’histoire de la littérature dramatique de Schack, me laissa une empreinte profonde et durable.

Enfin, la crise américaine passa et un de ses résultats fut une augmentation notable de la fortune de Wesendonck. Pendant ces soirées d’hiver, je relus encore le poeme de Tristan a un cercle d’auditeurs plus nombreux ; Gottfried Relier fut surtout satisfait de la concision de l’œuvre qui, somme toute, ne présentait que trois scènes entièrement développées. Semper, lui, ne fut pas content et me reprocha de tout prendre trop au sérieux. Le bienfait de la forme artistique, disait-il, consiste justement à briser le tragique du sujet pour nous permettre de jouir même des parties les plus émouvantes. C’est ce qui lui plaisait tant dans le Don Juan de Mozart ; les types tragiques n’y semblent former qu’une mascarade dans laquelle le domino l’emporte sur le masque de caractère. J’avouai qu’en effet, je me faciliterais l’existence si je prenais la vie plus au sérieux et l’art plus à la légère, mais j’ajoutai que, fort probablement, je ne changerais jamais. Et chacun, à part soi, secouait la tête.

Il est vrai qu’après avoir esquissé la composition du premier acte et m’être rendu compte du caractère que prenait ma musique, je ne pouvais m’empêcher de sourire en me rappelant l’intention que j’avais eue d’écrire une sorte d’ « opéra italien ». Et je me souciai de moins en moins de recevoir des nouvelles du Brésil.

Je fus rendu, par contre, attentif, vers la fin de l’année, a quelques faits concernant la destinée que Paris réser-