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(AUTOMNE 1857). PREMIER ACTE DE « TRISTAN »

tion qu’il ne fallait pas s’en attrister : dans le meilleur des cas, une telle situation ne pouvait se dénouer autrement, et Cosima me donna raison. Nous fîmes aussi beaucoup de musique, car j’avais enfin trouvé en Bülow un pianiste qui fût à la hauteur des arrangements si difficiles que Klindworth avait faits de mes Niebelungen. Hans sut même me jouer à livre ouvert les deux actes de Siegfried, qui n’étaient notés qu’au brouillon. Il les déchiffra comme un véritable arrangement pour piano ; suivant mon habitude, j’en chantai toutes les parties. Parfois nous avions quelques auditeurs, Mme Wesendonck le plus souvent. Cosima écoutait la tête penchée et ne disait rien ; quand on insistait pour la faire parler, elle se mettait à pleurer.

Mes jeunes amis me quittèrent à la fin de septembre et retournèrent à Berlin où ils devaient connaître le sérieux de la vie conjugale.

En jouant constamment les Niebelungen, nous avions en quelque sorte sonné leur glas funèbre, car je les enterrai provisoirement. Lorsque plus tard, à de rares occasions, je les tirais de leurs cartons, les manuscrits présentaient des feuillets de plus en plus jaunis. J’avais commencé la composition de Tristan en octobre ; le premier acte était prêt au nouvel an et j’en instrumentais déjà le prologue. Un besoin inquiet de solitude se développa en moi pendant cette période d’activité. Le travail, de longues promenades malgré le temps froid, le soir, la lecture de Calderon, telles étaient mes occupations dont je détestais être troublé. Mes rapports avec le monde se réduisirent presque exclusivement à des pour-