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CHANT DES « FILLES DU RHIN »

vait très nouveau de bâtir un théâtre pour un public nègre. Je ne sais si les relations de Semper avec le Brésil ont été plus satisfaisantes que les miennes, mais il est certain qu’il n’y a pas construit de théâtre.

Pendant quelques jours, je fus pris d’une forte fièvre, suite d’un refroidissement, et quand je me revis sur pied, mon jour de naissance était arrivé. Le soir, installé sur ma terrasse, je fus surpris par un chant lointain qui m’arrivait d’au delà des jardins. C’était l’air des Trois filles du Rhin, tiré de l’Or du Rhin. Mme Pollert, celle dont les querelles matrimoniales avaient empêché autrefois à Magdebourg la dernière représentation de ma Défense d’aimer, avait paru au ciel théâtral de Zurich l’hiver précédent. Elle était toujours cantatrice et, de plus, mère de deux filles. Comme elle avait la voix encore bonne et qu’elle-même était remplie d’égards envers moi, je lui avais fait étudier, à elle seule, le dernier acte de la Walkyrie et, avec ses filles, les scènes que chantent les « filles du Rhin ». Souvent nous en avions donné de petites auditions à nos intimes.

Éclatant à l’improviste ce soir de mon anniversaire, le chant de mes amies attentionnées m’émut vivement et j’éprouvai soudain une singulière répugnance à continuer la composition des Niebelungen, tandis que j’étais pris, au contraire, d’un désir violent de me mettre tout de suite à Tristan. Je décidai de céder à ce désir intime et de commencer ce nouveau travail, dont je caressais l’idée depuis si longtemps déjà. Je ne le considérai cependant que comme un intermède, les Niebelungen restant l’œuvre importante. Afin de me témoigner à moi-même que je