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CARL RITTER

mal élevée. Nathalie, qui avait sans doute été gâtée et négligée à l’âge décisif, était demeurée lourde de corps et d’esprit : petite et portée à l’embonpoint, elle semblait maladroite et sotte. De plus, son caractère, bonasse à l’origine, avait changé sous l’influence des gronderies et des sarcasmes de Minna ; il était devenu entêté et désagréable. Aussi les relations des soi-disant sœurs amenaient-elles dans le calme domestique des perturbations insupportables. Ma patience envers elles ne résultait que de mon indifférence intime pour tout ce qui concernait mon entourage.

Notre petit ménage gagna beaucoup en agrément par la présence de mon jeune ami Carl Ritter, qui devint notre commensal. Il s’installa dans une mansarde au-dessus de notre logis, partagea nos repas, m’accompagna dans mes promenades, et, pendant un certain temps, parut très satisfait. Mais je ne tardai pas à constater chez lui une inquiétude croissante. Il avait eu l’occasion d’assister aux scènes violentes qui, d’ancienne coutume, étaient redevenues fréquentes dans ma vie conjugale, et il avait pu se rendre compte où me blessait le bât dont, sur son désir, je m’étais rechargé si bénévolement. Il demeura silencieux lorsqu’un jour je lui rappelai à ce sujet, qu’en consentant à revenir à Zurich, j’avais obéi à un tout autre sentiment qu’à l’espoir d’une existence familiale heureuse.

Mais je découvris d’autres causes, pour le moins bizarres, de son malaise. Souvent mon jeune ami arrivait irrégulièrement aux repas et n’avait alors que peu d’appétit ; au début, je craignis que notre nourriture ne lui convînt pas, mais j’appris bientôt qu’il témoignait