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MES ACCÈS D’ÉRÉSIPÈLE

gulier rapport qu’il a avec un procédé musical qui, dans la suite, s’est développé en moi. Les différents avatars de toutes les créatures que rencontre Bouddha sont aussi présents à son esprit que leur incarnation du moment. Cette histoire acquérait donc sa signification par le fait que les souffrances passées des personnages principaux se répercutaient dans leur vie actuelle. Je reconnus tout de suite la possibilité de faire résonner les réminiscences de cette double vie au moyen de la musique et c’est avec un véritable plaisir que je me suis réservé de composer ce poème un jour.

Ainsi, outre mon gigantesque travail des Niebelungen, j’avais deux sujets encore qui occupaient vivement mon imagination : Tristan et les Vainqueurs. Mais plus je me sentais pénétré de ces projets, et plus mon impatience s’exaspérait des malheureux accès qui venaient interrompre mon activité de compositeur. Liszt m’ayant annoncé pour cette époque sa visite retardée, je dus le prier de ne pas venir, car je ne pouvais savoir d’avance si, durant les quelques jours qu’il m’accorderait, je ne serais pas cloué sur mon lit. Je passai donc tout cet hiver tantôt livré à une production tranquille et résignée, tantôt irrité, capricieux et faisant souffrir mes amis de mes humeurs.

Cependant je fus heureux que Cari Ritter se rapprochât de moi en s’établissant à Zurich. Par le choix de cette résidence, il me marquait un attachement véritable qui effaça bien des impressions pénibles. Hornstein était venu aussi, mais il n’y tint pas longtemps. Il prétendit être « nerveux » à ne plus pouvoir toucher une