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BERLIOZ À LONDRES (1855)

direction d’orchestre. Ce dressage d’un nouveau genre n’avait abouti qu’à mettre Wilde en état de laisser l’orchestre jouer à sa guise et de le suivre tant bien que mal en battant la mesure. J’entendis exécuter ainsi une symphonie de Beethoven et, à ma surprise, le public éclata en applaudissements tout aussi véhéments que lorsque moi, je dirigeais la même œuvre avec autant de précision que de feu. Toutefois, et pour donner quelque importance à ces concerts, on avait fait venir Berlioz.

J’assistai donc à quelques auditions d’œuvres classiques dirigées par lui, entre autres, à une symphonie de Mozart, et je fus interdit de voir ce directeur, si énergique quand il faisait exécuter ses propres compositions, s’abandonner ici à une routine digne du dernier des chefs d’orchestre. Diverses de ses œuvres, par exemple les morceaux à effet de la symphonie de Roméo et Juliette, me produisirent cette fois encore une impression remarquable, mais j’étais mieux à même de comprendre les faiblesses qui se remarquent dans les meilleures conceptions de ce musicien extraordinaire. Autrefois, au contraire, l’intensité de la sensation me produisait plutôt un malaise général.

La personnalité même de Berlioz m’intéressa vivement. Sainton nous ayant réunis plusieurs fois à dîner, je compris soudain la personnalité de cet homme tourmenté, à la sensibilité émoussée sous bien des rapports, si remarquablement doué pourtant. Moi qui n’étais venu à Londres que poussé par le besoin de distraction et de stimulation étrangère, je me sentais au septième ciel lorsque je me comparais à Berlioz, qui, bien plus âgé