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CARL KLINDWORTH

et ne pas risquer d’être remercié tout de suite, il ne fallait en aucune façon me marquer de sympathie. De là le silence subit des musiciens qui s’étaient d’abord laissés aller à me témoigner leur satisfaction. Mais maintenant, les concerts prenant fin, les sentiments des musiciens se firent jour et éclatèrent en applaudissements assourdissants ; de son côté, le public, qui d’ordinaire quittait bruyamment la salle sans attendre les derniers accords, se réunit en groupes enthousiastes qui m’entourèrent en m’acclamant également et en me serrant les mains. Aucune manifestation venant des musiciens et du public ne fut plus amicale que celle-là.

Mon existence à Londres fut spécialement caractérisée par les différentes relations personnelles que je nouai au cours de mon séjour. Tout de suite à mon arrivée, j’avais eu la visite d’un disciple préféré de Liszt, le jeune Carl Klindworth, qui devait rester un de mes agréables et fidèles amis. Malgré sa jeunesse et le peu de temps qu’il habitait Londres, Klindworth avait su se créer un jugement sur le mouvement musical anglais et quoique ce jugement me parût bien pessimiste, je dus bientôt en constater la justesse. Incapable d’entrer dans les singulières coteries des cliques musicales anglaises, Klindworth avait perdu bien vite tout espoir d’y trouver l’approbation qu’il méritait. Il s’était donc résigné et gagnait péniblement sa vie à courir le cachet dans les déserts de la vie anglaise. Excellent musicien et pianiste distingué, l’élève de Liszt était trop fier pour accorder la moindre attention aux critiques influents qui, dès son arrivée, s’étaient jetés sur lui. Il trouva moyen de s’occuper de