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SAINTON ET LUDERS

mier violon de l’orchestre de Londres. Celui-ci me reçut fort amicalement, et c’est par lui que je sus la singulière histoire de mon appel à Londres. Méridional de Toulouse à l’âme naïve et chaleureuse, Sainton avait comme commensal un Allemand pur sang, fils d’un musicien d’orchestre de Hambourg et nommé Luders. Celui-ci, d’apparence rébarbative, était pourtant très cordial de nature. Je fus extrêmement touché d’entendre de quelle manière le hasard avait fait de ces deux hommes des amis inséparables. Dans une tournée de virtuose, Sainton, venant de Saint-Pétersbourg, avait échoué à Helsingfors en Finlande. Là, poursuivi par le démon de la malchance, il ne voyait plus comment se tirer d’affaire, quand, sur l’escalier de son hôtel, il se trouva nez à nez avec ce timide et modeste fils du musicien municipal hambourgeois. Spontanément, Luders, qui s’était aperçu de l’embarras de Sainton, lui offrit son amitié en même temps que sa bourse. À partir de ce jour, ils ne se quittèrent plus ; ils firent des tournées en Suède et en Danemark et, après les aventures les plus singulières, gagnèrent le Havre, Paris, Toulon et se fixèrent finalement à Londres. Sainton obtint une place d’importance dans l’orchestre, tandis que Luders tâchait de gagner sa vie comme modeste maître de musique. Je les vis dans un joli appartement où ils vivaient en ménage uni, sans cesse remplis d’égards et d’affection l’un pour l’autre.

Or, ce Luders avait lu mes écrits sur l’art musical ; celui de l’Opéra et le Drame, entre autres, lui avait fait pousser cette exclamation : « Mâtin ! Il y a quelque chose là dedans ! » C’est ainsi que Sainton avait été rendu attentif à