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SOIRÉE CHEZ Mme KALERGIS

je revis les enfants de mon ami. Le plus jeune, son fils Daniel, me frappa et m’émut par sa vivacité et sa grande ressemblance avec son père. Chez ses filles, en revanche, je ne remarquai qu’une grande timidité.

Je me rappelle aussi un soir passé chez Mme Kalergis, la femme remarquable que je revoyais pour la première fois après la représentation de Tannhäuser à Dresde. À table, elle me posa une question au sujet de Louis-Napoléon ; moi, dans mon énervement mêlé d’amertume, je m’oubliai au point de répondre qu’on ne pouvait rien attendre d’un homme qu’une femme ne serait jamais capable d’aimer véritablement, et ma réplique jeta un froid dans la conversation. Après le dîner, pendant que Liszt jouait du piano, la jeune Marie de Wittgenstein s’aperçut de ma réserve et de ma tristesse qui provenaient en partie de mes maux de tête et en partie du sentiment d’être absolument étranger à cette société. Je fus touché d’avoir excité son intérêt et je lui rendis grâce du sentiment qu’elle avait éprouvé en me montrant sa sympathie et en cherchant à me distraire.

Après huit jours qui m’avaient horriblement fatigué, mes amis quittèrent Paris. Puisque je n’avais pourtant pas pu me remettre au travail, je résolus de ne pas m’en aller sans avoir acquis la tranquillité d’esprit nécessaire à mon grand projet. J’offris donc à ma femme de venir me trouver afin qu’elle pût revoir ce Paris où nous avions passé ensemble par tant de misères. Lorsqu’elle fut là, Kietz et Anders devinrent nos hôtes réguliers ainsi qu’un jeune Polonais, fils de ce comte Vincent Tyskiewicz qui, dans les anciens temps, avait été l’objet de ma vénéra-