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ÉTUDIANTS BRAVACHES. — GEBHARDT

seul membre de la Saxonia qui fût resté à Leipzig. Cette société se composait, dans l’origine, de jeunes nobles aux quels s’étaient joints la plupart des étudiants sérieux ; tous appartenaient à des familles importantes et aisées de Saxe et surtout de Dresde et ils allaient passer leurs semaines de congé à la maison paternelle. Pendant ce temps, on ne trouvait donc plus à Leipzig que les « éternels » étudiants qui avaient fini par ne plus avoir de foyer et pour lesquels les vacances duraient toute l’année.

Parmi ceux-ci se distinguait une troupe de jeunes débauchés qui, à l’époque glorieuse dont j’ai parlé, étaient venus chercher un refuge à Leipzig. J’avais déjà appris à connaître personnellement ces bravaches lorsqu’ils étaient de garde dans le jardin Brockhaus, et ils avaient fait grande impression sur mon imagination. Quoique la durée des études universitaires fût en général de trois ans, la plupart d’entre eux se trouvaient inscrits à leur faculté depuis six ou sept ans sans être jamais retournés dans leur famille. J’étais spécialement captivé par un certain Gebhardt, jeune homme d’une beauté et d’une vigueur incomparables. De sa taille de héros, il nous dépassait tous. Se promenant un jour par les rues, bras dessus bras dessous, avec deux de ses condisciples des plus robustes, il lui prit fantaisie de les soulever de terre par la seule force de ses bras et de courir ainsi comme avec une paire d’ailes humaines. D’une main il arrêtait un fiacre au grand trot en empoignant une roue par un de ses rayons. On craignait trop sa force pour lui laisser voir qu’on le trouvait bête, de sorte que, par cela même, son manque d’intelligence ne se remarquait guère. Sa