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L’ORCHESTRE DANS LE GRAND-JARDIN

pour rendre — incorrectement, il est vrai — ce que je voulais connaître. C’est ainsi que j’essayai aussi du Don Juan de Mozart, mais sans le trouver à mon goût. Le texte italien m’en faisait paraître la musique frivole, futile et sans force, et je me souviens qu’entendant ma sœur chanter l’air de Zerline : « Batti, batti, ben Masetto ! », cet air me répugna par son caractère mou et efféminé.

Cependant mon goût pour la musique se développait de plus en plus et je m’efforçais de m’assimiler mes morceaux favoris en les copiant. Je me rappelle l’hésitation que montra ma mère à me remettre l’argent nécessaire à l’achat des premières feuilles de papier à musique sur lesquelles je copiai, pour commencer, la Chasse de Lutzow, de Weber. Cette occupation toutefois demeura secondaire, jusqu’à ce que la nouvelle de la mort de Weber et mon désir d’entendre Obéron vinssent donner un élan nouveau à mes aspirations. Les concerts d’après-midi dans le Grand-Jardin, à Dresde, où la musique de la ville, dirigée avec brio par Zillmann, exécutait souvent mes airs préférés, formaient ma nourriture intellectuelle favorite. À présent encore, j’ai une jouissance voluptueuse à me rappeler les délices que j’éprouvais à me poster à proximité immédiate de l’orchestre. L’accord des instruments suffisait à me jeter dans une excitation mystique, et le frôlement des archets sur les quintes du violon évoquait dans mon esprit les accents de bienvenue d’un monde de fantômes. J’ajoute en passant qu’il faut entendre ce que je dis là dans un sens absolument littéral. Tout petit enfant, le son de ces quintes correspondait exactement, pour moi à la crainte des spectres qui