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RAPPORTS AVEC ADOLPHE WAGNER

je m’entretenais plus avec mon oncle que je ne lisais ses œuvres. Lui-même prenait plaisir à la société du jeune homme enthousiaste et attentif que j’étais. Il lui arrivait seulement d’oublier, dans le feu du discours (il aimait sans doute à s’entendre parler), que les expressions qu’il employait dépassaient ma jeune intelligence.

J’allais quotidiennement le prendre pour sa promenade hygiénique hors des murs de la ville, et mainte fois sans doute nous avons appelé un sourire moqueur sur les lèvres des personnes de notre connaissance à qui il arrivait d’entendre les discussions profondes et souvent animées de l’oncle et du neveu. Tout ce qui, dans le domaine de la science, est sérieux et élevé en formait le sujet habituel. Sa riche bibliothèque m’avait ouvert tous les horizons, de sorte que je passais fiévreusement d’un domaine de la littérature à l’autre sans arriver à rien approfondir. Mon oncle avait trouvé en moi un auditeur empressé pour ses lectures de tragédies classiques ; il se flattait avec raison d’être, après Tieck (son excellent ami), un des meilleurs lecteurs qu’il y eût alors. Lui-même avait traduit Œdipe roi, et je le revois encore, installé à son pupitre, me lisant une tragédie grecque sans montrer le moindre dépit quand je m’endormais ; il feignait alors ne pas l’avoir remarqué. J’étais également attiré chez lui par l’aimable accueil que me faisait sa femme chaque soir. Il faut savoir que, depuis que je l’avais rencontré dans la maison Thomé, mon oncle avait changé tout à fait sa manière de vivre. L’hospitalité qu’avec sa sœur Frédérique il avait trouvée chez Jeannette Thomé, leur amie, lui avait imposé des obli-