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ARRIVÉE À PRAGUE

nous décidâmes de manger d’abord, puis de passer la nuit à la belle étoile.

Pendant que nous nous restaurions, nous vîmes entrer dans le cabaret un singulier voyageur. Sur la tête il avait un béret de velours noir, dont la cocarde était une lyre en métal, et sur le dos il portait une harpe. Gaiement il se débarrassa de son instrument, se mit à son aise et commanda un bon souper en manifestant l’intention de passer la nuit à l’auberge, pour se mettre le lendemain en route vers Prague, où il habitait. L’air jovial de cet aimable personnage, qui venait du Hanovre et qui, à tout propos, plaçait son mot favori : non plus ultrà, éveilla ma confiance et ma sympathie. Nous eûmes vite fait de lier connaissance et le musicien ambulant répondit à mon affection par une tendresse véritable. Il fut décidé que, le lendemain, nous ferions route ensemble. Il me prêta un peu d’argent et inscrivit dans son carnet l’adresse de ma famille à Prague. Ce succès personnel me causa un plaisir délicieux. Mon harpiste devint de plus en plus gai, on but beaucoup de vin de Czernosek ; il chanta et joua comme un enragé, affirmant à chaque instant son non plus ultrà. Enfin, totalement ivre, il s’affaissa sur la paille qu’on nous avait préparée dans la salle même de l’auberge. Lorsque le soleil parut, il n’y eut pas moyen de le réveiller et il nous fallut nous décider à partir sans lui, avec l’espoir toutefois que cet homme vigoureux nous rattraperait dans le courant de la journée. Mais nous l’attendîmes vainement sur la route, ainsi que pendant tout notre séjour à Prague. Au bout de plusieurs semaines, cet original se présenta enfin chez