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SYMPATHIE POUR L’ESPRIT GERMANIQUE

rique d’après lequel le jeune Manfred, trahi de tous côtés, mis au ban de l’Église et abandonné de ses partisans, s’est enfui par l’Apulie et les Abruzzes chez les Sarrasins de Luceria. Ceux-ci l’ont accueilli avec enthousiasme et, s’étant rangés sous ses ordres, l’ont conduit de triomphe en triomphe jusqu’à la victoire.

Alors déjà j’étais heureux de découvrir en l’esprit germanique l’aptitude à briser les étroites limites de la nationalité pour comprendre l’humanité, quel que soit le vêtement sous lequel elle se présente. À mon avis cette aptitude le rapprochait de l’esprit grec.

Frédéric II me parut être le produit le plus parfait de cette faculté : le blond Germain d’ancienne lignée souabe, héritier du royaume normand de Sicile et de Naples, était pour moi la suprême expression de l’idéal allemand. Il avait donné à la langue italienne sa première culture ; il avait jeté les bases du développement des sciences et des arts là où le fanatisme de l’Église et la rudesse féodale s’étaient seuls trouvés en présence ; il avait reçu à sa cour les poètes et les sages des pays orientaux, réunissant ainsi autour de lui les grâces de l’esprit et de la vie des peuples arabes et persans ; il avait achevé sa croisade par un traité de paix et d’amitié avec le sultan, traité qui donnait aux chrétiens de la Palestine plus d’avantages que n’eût pu le faire la guerre la plus sanglante, mais qui, en même temps, avait attiré sur sa tête les foudres du clergé romain par lequel il avait été trahi et livré aux mécréants. Cet empereur admirable, excommunié par l’Église et qui lutta vainement contre la violente ignorance de son siècle, personnifiait à mon