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SUR LE POINT DE MOURIR DE FAIM

sources se fit sentir avec une cruauté vraiment poignante. Et cette amertume augmenta par le fait que ma sœur Cécile et son mari, gagnés par notre exemple, vinrent louer tout à côté de nous une demeure pour l’été. Leur position n’était pas brillante, mais elle était assurée. Chaque jour nous nous voyions, sans que jamais je leur fisse part de notre pénible embarras. Celui-ci atteignit son point culminant le jour où me trouvant absolument sans argent et dans l’impossibilité de payer un billet de chemin de fer, je partis à pied pour Paris. Du matin au soir, j’errai dans la ville à la recherche d’une pièce de cinq francs. N’ayant pas réussi à me la procurer, je dus refaire à pied le pénible chemin de Meudon. Minna était venue à ma rencontre ; je lui fis part du résultat négatif de mon expédition et elle me raconta, désolée, qu’elle avait dû donner ce qui nous restait de pain à ce Hermann Pfau, dont j’ai déjà parlé, et qui avait frappé dans un état pitoyable à notre porte, demandant à mangers à ma femme.

Nous n’avions plus d’espoir qu’en Brix qui, par de singulières circonstances, était devenu notre compagnon de misère ; lui aussi était parti le matin pour Paris, dans le même but que moi. Mais lorsqu’il revint enfin, trempé de sueur et harassé, il n’avait rien trouvé et, n’ayant rencontré aucune de ses connaissances qui eût pu l’inviter à déjeuner, il était absolument affamé et réclama en grâce un morceau de pain. Voyant cette situation si critique, ma femme prit son courage à deux mains ; elle sentait de son devoir d’empêcher ces hommes de mourir de faim. Elle alla chez le boulanger, le boucher et