Page:Wagner - Ma vie, vol. 1, 1813-1842.pdf/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

300
LE PEINTRE E. KIETZ

couleur, l’avait rendu célèbre dans sa patrie. Ses succès avaient été si lucratifs qu’il s’était décidé à faire des études sérieuses. Il était donc venu à Paris où il travaillait depuis un an dans l’atelier de Delaroche. Malheureusement, il avait choisi une voie où, avec sa nature presque enfantine et étourdie, son manque d’instruction et sa faiblesse de caractère, il devait se perdre sans retour malgré tout son talent. Je le constatai, à mon regret, grâce à la fréquence de nos relations amicales. En attendant, cet être confiant et familier nous était fort agréable à tous, surtout à ma pauvre femme, si souvent solitaire. Sa grande bonté et son affectueuse abnégation nous rendirent son amitié précieuse et en firent une source de secours dans notre plus grande misère.

Il fut donc accueilli chaque soir dans notre cercle intime, quoiqu’il fût une singulière société pour le vieil Anders, si pusillanime, et pour le consciencieux Lehrs. Sa grande bonhomie et ses boutades comiques nous devinrent indispensables. Ce qui nous amusait souvent, c’était l’ardeur convaincue avec laquelle il prenait part, sans la moindre gêne, à des conversations françaises. Après vingt ans de séjour en France, il ne savait pas coudre deux mots corrects ensemble. Il apprenait chez Delaroche la peinture à l’huile ; évidemment il montrait du talent, là aussi, et pourtant ce fut l’écueil sur lequel il sombra. Il lui fallait un tel temps pour préparer ses couleurs sur sa palette et laver ses pinceaux qu’il arrivait rarement à peindre quelque chose. Les journées étant courtes au milieu de l’hiver, lorsqu’il avait enfin mis palette et pinceaux en ordre, il n’y voyait plus assez, de sorte qu’il