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LE MONT-DE-PIÉTÉ

N’osant pas m’informer où se trouvait une maison de prêts, je cherchai dans le dictionnaire le nom français de ces établissements, afin de le découvrir à l’occasion sur une enseigne. Dans mon petit dictionnaire de poche, il n’y avait d’autre dénomination que « Lombard ». Je trouvai alors sur le plan de Paris, dans un quartier inextricable, une petite rue qui se nommait rue des Lombards. J’y allai donc, et, longtemps, j’errai à l’aventure sans arriver à obtenir un renseignement favorable. En revanche, j’avais souvent été intrigué par les mots : « Mont-de-piété » que je lisais sur des transparents de lanterne. Lorsque je demandai à mes conseillers intimes ce que signifiaient ces « pieuses montagnes », je fus joyeusement surpris d’apprendre que là précisément se trouvait mon salut. J’allai donc porter au commissaire du Mont-de-piété ce que nous possédions en fait d’argenterie, notamment nos cadeaux de noce. Puis ce fut le tour des petits bijoux de ma femme et de ce qui lui restait de ses toilettes de théâtre, entre autres une belle robe bleue à traîne brodée d’argent, qui avait appartenu à la duchesse de Dessau.

L’ami Mœller ne donnait toujours pas signe de vie ; il fallait vivre au jour le jour jusqu’à l’arrivée de son envoi si désiré, de telle sorte qu’un matin nos alliances mêmes prirent le chemin du Mont-de-piété. Les secours ne venant décidément pas, j’appris que les reconnais sances étaient encore une ultime ressource et qu’on pouvait les vendre avec les objets en gage. La cruelle nécessité nous força à recourir à ce dernier moyen et la robe de la duchesse fut perdue pour toujours.