Page:Wagner - Ma vie, vol. 1, 1813-1842.pdf/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

210
ABRAHAM MŒLLER

de Königsberg fut triste et humiliante. J’allai à la recherche de Minna, qui s’était logée dans un faubourg (Tragheim) voisin du théâtre ; la maison était de laide apparence et la rue avait l’air pauvre d’une rue de village. Mais l’amabilité et l’égalité d’humeur de Minna agirent bientôt d’une façon bienfaisante sur moi. Elle plaisait beaucoup sur la scène ; elle était appréciée du directeur et des amis du théâtre. Son fiancé, car j’avais ce titre, semblait devoir profiter de cet état de choses. Bien qu’il n’y eût encore rien de sûr quant à ma place, nous décidâmes que je patienterais pendant quelque temps : la chose finirait bien par s’arranger.

C’était aussi l’avis d’un des principaux protecteurs du théâtre de Königsberg, l’original Abraham Mœller. Il témoignait à Minna une sympathie amicale qu’il reporta finalement aussi sur moi. Cet homme, déjà vieillissant, appartenait à l’espèce d’amateurs passionnés du théâtre éteinte complètement sans doute en Allemagne aujourd’hui, mais dont il est si souvent parlé dans l’histoire des acteurs d’autrefois. On ne pouvait être une heure avec cet homme, qui se livrait dans ses affaires particulières aux spéculations les plus risquées, sans l’entendre chanter la gloire passée du théâtre, dans un sens qui n’avait rien de décourageant pourtant. Il avait été riche et avait réussi à connaître tous les acteurs et actrices célèbres d’alors et s’était même lié d’amitié avec tous à peu près. Malheureusement ses trop grandes libéralités avaient fortement diminué sa fortune et il se voyait maintenant forcé de s’adonner à des affaires singulières, dans lesquelles il est possible de gagner de