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LAUERMANN ET SA FEMME

Je ne sais trop comment on s’y prit ; l’effet des boissons fortes qui aida sans doute à obtenir ce nouveau succès sur Lauermann m’enleva le souvenir de ce qui se passa encore dans cette longue séance de cabaret.

Lauermann ayant été suffisamment nargué et persécuté, on se crut obligé de le ramener chez lui dans une brouette qu’on trouva devant la maison. On le roula donc en triomphe jusque devant sa porte, dans une de ces rues étonnamment étroites de la vieille cité, Mme Lauermann, qui fut tirée de son sommeil pour recevoir son époux, nous laissa deviner, par ses malédictions, ce qu’il en était de leurs rapports conjugaux et domestiques. Elle aussi avait l’habitude de se moquer du chant de son mari ; aujourd’hui elle mêla à ses railleries les plus terrifiants reproches à l’adresse des mauvais garnements qui entretenaient la folie du pauvre homme, l’empêchaient de travailler utilement à son métier et provoquaient des scènes pareilles à celle de ce soir. Mais ici, le maître chanteur se redressa ; son orgueil lui fit oublier ses peines, et, tout en gravissant péniblement l’escalier au bras de sa femme, il interdisait à celle-ci de critiquer son art et finalement lui ordonna vertement de se taire.

Les aventures de cette nuit ne devaient pas encore prendre fin. Les joyeux compères retournèrent à l’auberge. Devant la porte déjà fermée par l’heure réglementaire, ils se heurtèrent à une bande de noctambules composée en grande partie de compagnons ouvriers. Notre société d’habitués réclama le droit d’entrer et le cafetier se vit fort embarrassé. Il reconnaissait les voix de ses fidèles et désirait les laisser pénétrer dans le cabaret ;