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LA « FAMILLE SUISSE »

qu’alors les productions de la géniale cantatrice. Quels ne furent donc pas mon saisissement et mon étonnement en retrouvant ce soir-là, dans toute son admirable grandeur, cette femme incomparable ! Qu’une chose aussi merveilleuse que celle de la création de cette jeune Suissesse ne puisse être conservée et transmise à la postérité comme un monument, c’est à mon avis un de ces sublimes sacrifices par lesquels le bel art dramatique se manifeste seul. Aussi, quand de tels phénomènes se produisent, ne saurait-on les estimer trop haut.

Outre ces émotions spirituelles si profondément significatives pour ma vie et mon développement artistique, mon séjour à Nuremberg me laissa d’autres impressions d’une nature particulière qui, malgré leur sujet insignifiant et presque trivial, se gravèrent si fortement en moi qu’elles ressuscitèrent plus tard sous une forme nouvelle et bizarre. Mon beau-frère Wolfram, un joyeux compère, était fort apprécié des amis du théâtre, avec lesquels il faisait de bonnes séances, le soir, au cabaret. À l’accompagner, je pus voir de plaisants échantillons de l’esprit gouailleur qui animait leurs divertissements, auxquels je pris part moi-même.

On me montra dans une des auberges que nous fréquentions un menuisier nommé Lauermann. Petit, trapu, plus tout à fait jeune, d’aspect comique et ne parlant que le dialecte du bas peuple, cet homme était devenu un de ces bouffons qui contribuent involontairement à l’amusement d’une société. Lauermann se figurait être un très bon chanteur. Imbu de cette prétention, il ne s’intéressait qu’aux personnes qu’il supposait douées d’un talent analogue au