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FIANÇAILLES TACITES

tard chez Minna, afin de ne plus y renconter notre gênante compagne. Pour me tenir éveillé, j’eus recours aux boissons alcooliques, si bien qu’il m’arriva cette aventure bizarre de quitter une insipide partie de cartes dans un état d’ivresse complet. J’y étais arrivé si graduellement que je ne voulais pas y croire. J’allai donc, malgré l’heure tardive, faire la visite promise. À mon grand dépit, la vieille amie y était encore. Alors un subit accès de colère s’empara de moi et je lui donnai libre cours ; comme la dame exprimait sa surprise de ma conduite singulière par des exclamations de plaisanterie, je lui répondis en la raillant si grossièrement qu’elle se hâta de s’éloigner, indignée. J’avais juste encore assez de sang-froid pour remarquer le rire étonné de Minna. Avec son calme habituel, elle n’hésita pas à prendre une décision que les circonstances rendaient cependant assez difficile. Dans l’état fâcheux où je me trouvais, il n’était pas possible de me faire quitter la maison sans que les habitants s’en aperçussent, et comme je tombais de sommeil, Minna eut pitié de moi et m’abandonna son lit.

Lorsque le matin me réveilla et que j’eus conscience du lieu où j’avais passé la nuit, je compris clairement que cet acte néfaste allait avoir une influence durable sur toute ma vie. Sans nous livrer à la moindre caresse, sans plaisanterie, sans gaieté, nous déjeunâmes posément et chastement en attendant l’heure où une promenade hors de ville avec Minna ne paraîtrait pas extraordinaire. Je sortis donc avec elle ; puis nous nous séparâmes, et, dès lors, nous affichâmes franchement nos sentiments d’amoureux.