Page:Wagner - Ma vie, vol. 1, 1813-1842.pdf/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

143
JOYEUSES SOIRÉES AU « CHEVAL NOIR »

chement sérieux. J’étais au piano, et j’entendis mon ami raconter à ces dames que, dans une conversation à l’hôtel, j’avais trouvé l’occasion de parler en termes très chaleureux des sérieuses qualités domestiques de mes amies, et cela à quelqu’un qui en manifestait son étonnement. J’éprouvai un vrai saisissement à constater que les malheureuses avaient déjà dû faire de bien tristes expériences, car elles me témoignèrent une joie inattendue d’une action qui me paraissait toute naturelle. Jenny s’élança vers moi, me jeta ses bras autour du cou et m’embrassa. Le droit d’être encore plus impertinent m’était reconnu ; je ne répondis aux effusions de la jeune fille que par des plaisanteries et des folies.

J’avais trouvé en notre hôtel (le « Cheval noir », si réputé alors) un terrain où je pouvais laisser déborder le surplus de mon exubérante humeur quand je n’étais pas arrivé à l’épuiser dans la maison Pachta. Nous avions réussi à former, avec les éléments disparates de la table d’hôte, une société que nous entraînions à commettre mille folies jusqu’au milieu de la nuit. Ma verve s’exerçait spécialement sur la personne d’un commerçant de Francfort-sur-l’Oder, très petit homme fort peureux, mais qui voulait paraître téméraire. Qu’il y eût au monde un homme natif de Francfort sur l’Oder (et non pas sur le Mein) me semblait chose extravagante en soi. Celui qui sait ce qu’était l’Autriche à cette époque-là peut se faire une idée de mon audace en apprenant que j’ar rivai un soir à faire chanter la Marseillaise à tue-tête par tout notre clan réuni dans la salle à manger. Les