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CHOLÉRA À BRÜNN. — 1832.

de voyager avec lui, ma mère se décida à m’accorder la permission d’aller à Vienne. Je le souhaitais vivement. Emportant les partitions de mes trois ouvertures, ainsi que celle de la grande symphonie encore inédite, je fis le trajet jusqu’à la capitale de la Moravie dans la berline commode et rapide de mon cher protecteur polonais. Nous eûmes un court arrêt à Dresde. Les membres de l’émigration qui s’y trouvaient, riches et pauvres, nous accompagnèrent jusqu’à Pirna et offrirent un dîner d’adieu au comte aimé de tous. Ils arrosèrent de flots de champagne leurs vivats en l’honneur du futur « Dictateur de la Pologne ».

Nous nous séparâmes enfin à Brünn. Je devais prendre le lendemain la poste pour Vienne. L’après-midi et la nuit que je passai seul en cette ville sont marqués dans mon souvenir par la peur étrange et subite que j’eus du choléra. C’était la première fois que je me trouvais dans un lieu où régnait cette épidémie. Venant de quitter mon ami, me voyant absolument seul dans une contrée totalement inconnue, il me sembla, quand j’appris à l’improviste son apparition, qu’un démon sournois m’avait attiré dans un piège afin de me détruire sans vestige. Cependant, je ne laissai rien paraître de ma crainte à l’hôtel, mais lorsqu’on m’eut conduit à ma chambre, située dans une aile isolée, et que je me trouvai soudain dans cette solitude, je me blottis tout habillé dans mon lit. De nouveau, la peur des revenants me fit souffrir comme dans mon enfance. Le choléra était en personne devant moi ; je le voyais, je pouvais le toucher de mes mains ; il entra dans mon lit, il m’enlaça. Mes membres