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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

du Drame, seul guide, seul maître, et seul but. Voilà, pour ne parler que des progrès dans la forme, accomplis depuis Tannhaüser, indépendamment de la sublime valeur, équipollente et symbolique, de chacun des poèmes en soi, voilà ce qu’il conviendrait d’admirer, comme je dis, dans la technique de Lohengrin.

Aussi est-ce à bon droit que Wagner, treize ans plus tard, constatait avec complaisance quel « sûr-instinct » l’avait conduit, sans nulle théorie préconçue, à l’idée d’une égale et réciproque pénétration de la Musique et de la Poésie comme condition d’une œuvre d’art « ca- pable d’opérer, » dit-il, « par la représentation scénique, une irrésistible impression, et de faire qu’en sa présence enfin s’évanouisse, dans le sentiment purement humain, » toute velléité même de réflexion abstraite (1). Pour moi, c’est à l’exaltation de ce « sûr instinct » divinatoire, par des injustices répétées, qu’il m’est doux et réconfortant d’attribuer la supériorité relative, et de Tannhaüser quant au Vaisseau-Fantôme, et et surtout de Lohengrin quant à Tannhaüser ; ces injustices étant connues, je n’en recommencerai point l’historique ; je me contenterai de rappeler qu’en écrivant cette phrase : « Lorsque j’entrepris Lohengrin (la composition de Lohengrin), j’étais devenu conscient de ma solitude, (2) » Richard Wagner, implicitement, se rendait un témoignage de sa persévérance. En effet, lorsqu’il entreprit la composition de Lohengrin, ne venait-il pas de voir échouer, coup sur coup, toutes ses tentatives pour propager Tannhaüser ? – Tannhaüser ! à quoi de connu cela ressemblait-il, Tannhaüser ? Nos

(1) Cf. Lettre sur la Musique, nouv. éd., p. LI.

(2) Communication à mes Amis (Eine Mittheilung an meinen Freunden ; Gesammelte Schhriften, t. IV). Cette phrase se rapportait, d’ailleurs, à un état moral intime plus intéressant, plus poignant. Je n’y puis pas insister ici : Cf. ALFRED ERNST, L’Art de Richard Wagner : l'Œuvre poétique, pp. 338-339.