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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

à tour, par des habitudes, seconde nature contre nature, et par des conventions, et par des prétentions, et par des perversions, et par des concessions ; ces représen- tations idéales, devant un Public idéal, pour un Public de Foule et de Peuple (1) si l’on veut, connaisseur, - mais de son ignorance, et par là propre à tout recevoir, à tout admettre, à tout sentir, à tout comprendre, à tout écouter jusqu’au bout la bouche béante, mais l’âme aussi, à ne se jamais scandaliser si le musicien comme le poète le veulent intéresser au Drame plutôt qu’aux interprètes du Drame ; ces représentations idéales, révélatrices de l’Art nouveau découvert par Richard Wagner, révélatrices de ses idées mieux que toutes ses

(1) Cf. RICHARD WAGNER, Lettre sur la musique, nouv. éd., pp. LXXXI-LXXXII : « Pour me défendre de toute concession,il ne me fallait pas un grand courage ; l’effet que j’ai vu moi-même les parties les mieux réussies jusqu’à présent dans l’opéra produire sur le public, m’a fait concevoir de lui une opinion plus consolante. L’artiste qui s’adresse dans son ouvrage a l’intuition spontanée, au lieu de s’adresse" à des idées abstraites, est porté par un sentiment aveugle, mais sûr, à composer son œuvre non pour le connaisseur, mais pour le public. Ce public ne peut inquiéter l’artiste que sous un seul rapport : c’est par l'élément critique qui peut avoir pénétré en lui, et y avoir détruit l’ingénuité, la candeur des impressions purement humaines. Précisément à cause de la forte part de concessions qu’il renferme, l’opéra, tel qu’il a été jusqu’ici, est, a mon sens, admirablement fait pour brouiller les idées du public, en le laissant incertain de ce qu’il doit chercher et embrasser ; car le public est involontairement obligé de se livrer à des réflexions hasardées, prématurées, fausses ; et il voit aussi le bandeau des préventions s’épaissir sur son esprit de ta façon la plus fâcheuse, grâce au bavardage de tous ceux qui, dans ses rangs mêmes, se prononcent on connaisseurs. Et, par contre, remarquons l’étonnante sûreté des jugements que le public porte, au théâtre, sur le drame récité ; rien au monde ne peut le déterminer ici à tenir pour raisonnable une action absurde, pour convenable un discours qui est hors de saison, pour vrai un accent qui ne l’est pas : ce fait est le point solide auquel il faut s’attacher pour établir dans l’opéra même, entre l’auteur et le public, des relations sures et nécessaires à tour entente mutuelle. »