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PROLOGUE : L’OR-DU-RHIN, SCÈNE PREMIÈRE

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ce que nous te répliquons ! Pourquoi, poltron, n’as-tu pas eu l’audace de garrotter celle que tu aimes ? Sans félonie, nous sommes fidèles à l’amoureux qui nous capture. – Attrape-nous seulement, et puis n’aie pas peur ! Nous aurons bien du mal à nous sauver, dans le Fleuve. (Elle se mettent à nager séparément et çà et là, tantôt plus bas, tantôt plus haut, pour pousser ALBBRICH à leur donner la chasse.)

ALBERICH

Quelle dévorante chaleur me brûle, circule à travers tous mes membres ! La rage et l’amour, puissamment, sauvagement, bouleversent mon être (1) – Ah ! vous rirez ! vous mentirez ! j’ai soif de m’assouvir sur vous, il faut que l’une de vous m’appartienne !

(Il se met à les pourchasser en des efforts désespérés ; escalade, avec une terrible agilité, roc sur roc, bondit de l’un à l’autre, cherchant à saisir tantôt l’une et tantôt l’autre des Ondines, qui échappent, à chaque tentative, avec d’outrageants éclats de rire ; il trébuche, roule au fond du gouffre, se rue alors, précipitamment, pour remonter ; enfin, à bout de patience, bavant de rage, hors d'haleine, il s’arrête et montre, aux Ondines, son poing, convulsivement fermé.)

ALBERICH, à peine maître de soi.

Qu’en ce poing-là j’en tienne une !… Il s’obstine en une rage muette, les regards braqués en haut, attirés soudain, fascinés, par un spectacle tout nouveau.

(1) « Comme dans mes membres – chaude ardeur – me brule et ard ! – Fureur et amour – sauvage et puissant – me boule l'âme ! » Telle est la version littérale (littéraire aussi, paraît-il) de MM. Edouard Dujardin et Chamberlain. La commenter serait trop cruel ! Si Wagner avait voulu dire « chaude ardeur » (ailleurs : « humide mouille ») il ne serait point le poète qu’il est, mais le plus librettiste des librettistes, le plus scribiste des scribistes. Voilà où mène l’abus d’une littéralité qui repousse jusqu’au sens figuré des mots. Vrai ! jamais les ennemis de Wagner n’eussent porté, à sa gloire d’impeccable et d’immense poète, un plus funeste coup qu’une pareille traduction, étendue à. toute la Tétralogie.