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PROLOGUE : L’OR-DU-RHIN, SCÈNE PREMIÈRE

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ALBERICH, la touchant familièrement.

Doux compliment : mon cœur tressaille, tremble et se trouble de plaisir.

FLOSSHILDE le repousse avec douceur.

Ton charme fait la joie de mes yeux ; ton doux sourire, la joie de mon âme ! (Elle l’attire tendrement vers elle) O bien-aimé !

ALBERICH

O bien-aimée ! (1)

FLOSSHILDE

Puisses-tu m’aimer !

ALBERICH

Puisses-tu m’appartenir toujours !

FLOSSHILDE, le tient tout à fait embrassé.

Ton regard brûlant, ta barbe hirsute, ô puissé-je à jamais les voir, les contempler ! Ta rude tignasse, ses boucles hérissées, puisse Flosshilde, à jamais, les envelopper de ses flots ! Ta figure de crapaud, (2) le croassement de ta voix, ô puisse-je, surprise et muette, n’en plus voir, n’en plus ouïr d’autre !

(1) « Très bienheureux homme ! - Très douce fille ! » traduit, littéralement, M. Edouard Dujardin. Mais si le sens général, ordinaire, des mots est ainsi transcrit, - ni le sens particulier de ces mots quant au passage, ni l’intonation dramatique de ce passage, ni la symétrie des répliques allitérées ne se trouvent rendus : « Seligster Mann ! - süssesste Maid ! » Entre une pareille traduction morte et la traduction que j’ai révée (je ne dis pas : « que j’ai réalisée»), il y a juste autant de différence qu’entre une photographie servile d’un paysage, - et l’interprétation vivante de ce paysage par un artiste épris de nature.

(2) On verra plus loin qu’Alberich se métamorphose en crapaud. Je sais des personnes, et voire des Wagnériens fervents (aussi fervents que fermés d’ailleurs à toute intelligence des mythes, des symboles, des âmes non-françaises), qui en sont encore à reprocher à Wagner ce malheureux crapaud. A ceux-là, - les mêmes qui réclament contre le « bétail » fantastique de la Tétralogie entière, - nous refuserons toute explication. Qu’ils