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construire sur commande des casernes et des maisons à louer ? Qu’est-ce qui affligeait le peintre quand il devait faire le portrait d’un millionnaire au masque repoussant, le musicien quand il devait composer de la musique de table, le poète quand il devait écrire des romans pour des cabinets de lecture ? Quelle était alors sa souffrance ? De devoir dissiper sa force créatrice au profit de l’Industrie, de devoir faire de son art un métier ! — Mais que doit souffrir enfin le poète dramatique quand il veut réunir tous les arts ? Toutes les souffrances réunies des autres artistes !

Ses créations ne deviennent œuvres d’art que lorsque par la publicité, elles entrent dans la vie, et une œuvre d’art dramatique n’entre dans la vie que par le théâtre. Mais que sont aujourd’hui ces théâtres disposant des ressources de tous les arts ? Des entreprises industrielles, même là où ils reçoivent des dotations spéciales des états ou des princes : on en confie ordinairement la direction aux mêmes hommes qui hier dirigeaient une spéculation sur les blés, qui demain consacreront au commerce des sucres leurs connaissances sérieuses, à moins qu’ils n’aient acquis les connaissances nécessaires à la compréhension de la dignité du théâtre dans les mystères du service de chambellan ou de fonctions similaires. Aussi longtemps qu’on ne verra dans un théâtre qu’un