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nous étonnons donc pas si l’Art aussi recherche l’or, car tout tend à sa liberté, à son dieu : et notre dieu c’est l’or, notre religion le gain de l’or.

Mais l’Art en lui-même reste toujours ce qu’il est : nous devons seulement dire qu’il n’existe pas dans la communauté actuelle : mais il vit et a toujours vécu dans la conscience de l’individu sous forme d’art unique, indivisible. En conséquence la seule différence est celle-ci : chez les Grecs il existait dans la conscience publique, tandis que aujourd’hui il n’existe que dans la conscience d’individus séparés, en opposition avec l’inconscience publique. À l’époque de sa floraison l’Art chez les Grecs était conservateur, parce qu’il se présentait à la conscience publique comme une expression valable et conforme : chez nous le véritable art est révolutionnaire, car il n’existe qu’en opposition avec la généralité courante.

Chez les Grecs l’œuvre d’art accomplie, le drame, était la synthèse de tout ce que l’essence grecque présentait de propre à être figuré : c’était la nation même, en rapport intime avec son histoire, qui se voyait représentée dans l’œuvre d’art, se comprenait, et, dans l’espace d’un petit nombre d’heures, prenait le plus noble plaisir personnel à se nourrir pour ainsi dire d’elle-même. Toute division de ce plaisir, toute dispersion des forces réunies en un point