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admis à ce plaisir grâce à sa beauté et à sa culture : nous faisons dresser pour notre divertissement une certaine portion de notre prolétariat social, qui se rencontre en vérité dans toutes les classes ; une vanité impure, le désir de plaire et dans certaines conditions la perspective de profits pécuniaires rapides et abondants, emplissent les rangs de notre personnel théâtral. Tandis que l’artiste grec, en outre du plaisir qu’il prenait personnellement à l’œuvre d’art, était récompensé par le succès et par l’approbation du public, l’artiste moderne est engagé et payé. Ainsi donc nous arrivons à caractériser d’une façon détinitive et rigoureuse cette différence essentielle : l’art public des Grecs était précisément de l’art, le nôtre est un métier artistique.

L’artiste, abstraction faite du but de son travail, prend plaisir à ce travail même, à manier la matière, à lui donner forme ; la production prise en elle-même constitue pour lui une activité qui le réjouit et le satisfait, non un labeur. L’ouvrier s’occupe seulement du but de ses efforts, du profit que son travail lui apporte : l’activité qu’il déploie ne le réjouit pas, elle n’est pour lui qu’une peine, une inéluctable nécessité, et il en chargerait de grand cœur une machine : il ne peut s’attacher à son travail que par obligation ; aussi