Page:Wagner - L’Art et la Révolution, 1898, trad. Mesnil.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 59 —

pensent de l’argent pour leurs créations et accomplissent ainsi le plus grand sacrifice de soi aujourd’hui concevable ? Dans quel but cette monstrueuse dépense ? Ah ! il existe encore quelque chose en dehors de l’argent, une chose que l’on peut entre autres plaisirs se procurer de nos jours aussi grâce à l’argent : la Gloire ! — Mais quelle gloire peut-on acquérir dans notre art public ? La gloire de la publicité même en vue de laquelle cet art est combiné et que l’ambitieux ne peut atteindre sans savoir se soumettre à ses triviales prétentions. Ainsi il ment à lui-même et au public en lui livrant son œuvre disparate, et le public le trompe et se trompe en lui prodiguant ses applaudissements ; mais ce mensonge réciproque est bien digne déjà du grand mensonge de la gloire moderne, et en général nous savons du reste couvrir nos passions les plus égoïstes des beaux mensonges capitaux du « patriotisme », de « l’honneur » , de la « légalité », etc.

Mais d’où vient que nous jugions nécessaire de nous tromper si ouvertement les uns les autres ? — De ce que ces idées et ces vertus existent, il est vrai, dans la conscience de notre société actuelle, sinon comme vertus, du moins comme remords. Car s’il est certain que le vrai et le sublime existent, il est certain aussi que le véritable art existe. Les esprits les plus élevés et les plus nobles — esprits