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l’opéra devint un véritable chaos d’éléments matériels voltigeant les uns parmi les autres, sans attache ni lien, dans lequel chacun pouvait choisir à son gré ce qui convenait le mieux à sa faculté de jouissance, soit les bonds élégants d’une danseuse, soit les passages périlleux d’un chanteur, soit l’effet brillant d’un décor, soit un déconcertant et volcanique éclat de l’orchestre. Ne lit-on pas en effet aujourd’hui que tel ou tel opéra nouveau est un chef-d’œuvre, parce qu’il contient de beaux airs et de beaux duos en grand nombre, que l’instrumentation de l’orchestre est très brillante, etc ? Le but, qui seul peut justifier l’emploi de moyens si variés, le grand but dramatique, personne n’y songe plus.

De semblables jugements sont bornés mais sincères ; ils montrent tout bonnement ce dont le spectateur s’occupe. Il y a également un grand nombre d’artistes en vogue qui ne contestent nullement qu’ils n’auraient d’autre ambition que de satisfaire ces spectateurs bornés. Très justement ils jugent ainsi : quand le prince, après un dîner laborieux, le banquier après d’énervantes spéculations, l’ouvrier après une fatigante journée de travail, arrivent au théâtre, ils veulent se reposer, se distraire, se divertir, et non point tendre leur esprit et s’exciter de nouveau. Cet argument est d’une vérité si frappante que nous n’avons